lundi 11 juillet 2011

Histoire de la culture faussée

Que sais-je? Paul Claval, Histoire de la Géographie, p. 18

Il est difficile de concilier sur certains points l'héritage de la cartographie grecque ... et le mythe biblique de la terre plate, relayé par des Pères de l'Église comme Lactance (v. 250 - v. 325) et saint Augustin (354 - 430).


Trois erreurs:
  1. la terre plate n'est pas une mythe biblique, aucun recit (sauf peut-être dans les livres de Hénoch, divers versions du même livre, qui pour ça même n'est pas canonique) de la Bible ne présuppose pour sa cohérence que la terre soit plate;
  2. Lactance n'est pas un Père de l'Église, mais un auteur ecclésiastique;
  3. et saint Augustin ne relaye pas que la terre soit plate, il précise très au contraire, dans de Genesi ad litteram, comment le recit de la Genèse quarre avec une terre ronde.


Découvertes Gallimard, Bruno Blasselle, À pleines pages, Histoire du livre, volume I, p. 76 légende à l'image:

... Ci-contre une liste d'auteurs, classés par ordre alphabétique des prénoms, dont la lecture est interdite, sous peine de mort, aux chrétiens (1558). ...


Sous peine de mort? On voit effectivement au-dessus des autres parties de l'image-texte la phrase tronquée italienne: [-]no in pericolo di morte. Ensuite vient une autre phrase tronqué, en latin comme il convient à l'Index, puisque c'est un document en latin: Modus solemnis,et aute~ticus ad inquirendu~, etc. Si la seule lecture d'un livre sur l'Index avait suffit pour la peine de mort, alors pourquoi ne cite-t-il pas ou ne montre-t-il pas un quelconque texte latin qui le dise? Le document en soi est en latin! Mais la wikipédie nous suffit, si on parle allemand, de donner la vraie punition édictée pour lecture de ces livres, excommunication:

Der Index Librorum Prohibitorum („Verzeichnis der verbotenen Bücher“, kurz auch Index Romanus „Römischer Index“ genannt) war ein Verzeichnis der römischen Inquisition der für jeden Katholiken bei Strafe der Exkommunikation verbindlich verbotenen Bücher.


Non seulement la peine de mort pour lecture ou possession d'un livre sur index n'est pas le fait, ce n'est même pas probable.

a) L'église en elle-même ne condamne pas à mort;
b) elle ne voulait pas du tout que les états condamne les orthodoxes (ou photiens) à mort, comme elle voulait que l'état condamne les albigeois à mort, et pourtant un des auteurs cités était justement un biritualiste "catho-doxe" comme on dirait aujourd'hui: Nicolaus Cabasila (l'image donne la lettre N);
c) comment alors pourrait-elle condamner des gens à mort pour lire un auteur qui combinait la tradition grecque, jugée schismatique, avec la tradition latine?

Par contre, elle pouvait très bien juger que son advocature de la liturgie latine devant une accusation grecque alors commune et encore non rare, empérillait les âmes des catholiques, et les faisait glisser vers le schisme, vers la mort spirituelle, et elle pouvait excommunier les catholiques qui lisaient ça sans une autorisation spéciale. Ce qu'elle faisait en plaçant Nicolas Kabasilas (Nicolaus Cabasila en latin) sur l'Index.

Les catholiques de l'époque n'étaient pas des Taliban, et même ceux-là n'ont pas tué les dix humanitaires pour la seule possession des Bibles comme étant pour leur usage personnel, mais sous prétexte qu'ils prêchaient le christianisme. En certains pays catholiques, répandre des livres sur index - ou les pires de ces livres, probablement pas Cabasilas - était effectivement puni par la mort. Dolet, en France, était un imprimeur. Là, pas de doute qu'il intentionnait les livres incriminés pour les autres.

Le professeur de latin de la faculté des lettres à Aix-en-Provence (en 2008, probablement) venait de m'assurer que le système de peciae n'était jamais utilisé dans les scriptoriae monastiques avant les universités du XIe ou XIIe s. Il a probablement lu les passus aux pages 26, 27 du même livre. Le paragraphe en texte normale donne juste:

Le système dit de la pecia se met en place dans les grandes villes universitaires européennes afin de répondre à cet accroissement de demande.


Mais la légende à l'image donne:

À partir du XIIe siècle, certains livres sont découpés en cahiers ... et répartis entre des copistes à domicile ...


Aucun monastère aurait fait la même chose avant, même pas pour donner vite des livres pour des missionnaires? Ou on en a pas la preuve, puisque dans le monastère les peciae n'avaient pas besoin d'être numérotées? On aurait donc la preuve que chaque livre produit dans les monastères avait été produit par un seul copiste devant toute son exemplar plutôt que devant pecia après pecia? Mais justément, dès qu'on a une copie on a le résultat de transcription, pas l'exemplar d'où elle remonte.

Aurait-ce été difficile sans numéroter les peciae? Mais une Bible ou un Évangéliaire pouvait être reconstitué à partir de la suite connue de ses parties, sans les numéroter. Item pour un autre livre liturgique. J'avais eu l'impression que R. R. Bolgar fait remonter le système des peciae un peu plus loin que les universités du XIIe siècle. Mais, je ne suis pas sur. Le fait que Balleselle l'exclut par implication des phrases "se mettre en place" ou "à partir de" dans ces pages, ne me paraît d'aucune autorité décisive. Surtout pas après sa bavure p. 76 sur la peine pour lecture ou possession personnelle d'un livre sur l'Index.

Hans-Georg Lundahl
Les Halles, Paris
11 - VII - 2011

1 commentaire:

HGL a dit…

Le problème avant les universités, aux temps plutôt monastiques du livre était peut-être les dos du livre, trop coûteux avant.