Celui qui connaît le débat de Valladolid serait peut-être surpris du tître. Après tout, Jules Ferry était pro-colonial, Sepúlveda aussi. Mais, quoique ce soit une position cohérente que conquête des colonies ou en général guerres sont illicites, ce n'est pas une position cohérente que chaque acte de guerre est licite ou que chaque conquête d'une colonie est licite. D'où l'importance de savoir quand l'un et l'autre est licite. Si par exemple Soliman avait le droit de conquerir Autriche, alors Autriche n'avait pas le droit de se défendre: si inversément Autriche avait un droit de se défendre, logiquement Soliman n'avait pas un droit de la conquérir. Et si c'était bien pour les Aztèques de devenir colonisés par les Espagnols, alors il aurait été mal pour les Espagnols de devenir une colonie Aztèque. Donc, il doit y avoir critères, si on est pour des guerres ou pour des actes de colonisation, et Sepúlveda peut avoir été en désaccord avec Jules Ferry sur les critères. Ceci ne veut pas dire que tout acte de colonisation en Afrique par les Français aurait été reprouvé par Sepúlveda.
En effet, quoique Bartolomé de las Casas était concrètement contre les conquêtes faites par Espagne, il avait un principe en commun avec Jules Ferry, à savoir le racialisme. Bartolomé essayait au moins à une reprise de démontrer que la race blanche était inférieure aux Indiens et donc inapte à coloniser leur pays. Il croyait aussi que la race noire était inférieure. Pourquoi alors la race indienne serait-elle supérieure? Puisque capables à un altruisme, par exemple dans les personnes qui se sacrifiaient aux idoles pour le bien de la communauté. Virtutes paganorum ... comme Curtius qui se jetait lui-même dans le gouffre ouvert devant les murs de Rome. Un Sepúlveda ne va pas trouver cet altruisme vertueux, il le trouverait plutôt comme splendida vitia, puisque idolatre. Et Bartolomé va défendre une vue totalitaire selon lequel l'état avait droit à un tel altruisme de la part des citoyens, même où l'état a tort.
Mais ce n'est pas Jules Ferry non plus qui reclame un altruisme et une obéissance vis-à-vis l'état idolâtres - dans le sens cultuel du sacrifice humain par autoimmolation: c'est à l'époque plutôt la Prusse, qui loue et se reclame du kamikaze qui se saute dans l'air pendant la prise d'une ville tenue par les Danois. Non, là où Jules Ferry n'est pas tout à fait d'accord avec Sepúlveda, ou avec une bonne lecture de Sepúlveda, c'est autre chose.
Il n'est pas non plus d'accord avec Bartolomé de las Casas en prônant comme lui l'esclavage des Noirs. En effet à son époque l'esclavage individuel sous un maître individuel subi par les Noir a été aboli en France avec Colonies. Pour rappeler ce qui se passait avant: les Noirs chassaient les Noirs, gardaient quelques-uns et vendait d'autres, les Juifs étaient importants mais pas monopolistes dans la suite du commerce, mais très minoritaires parmi les possesseurs, et ensuite on avait ceux-ci, Anglais et Portugais, Hollandais et Espagnols. Puisque l'Église avait pris la règle et soumis les états à celle-même que c'est uniquement dans une guerre juste victorieuse que l'autre côté injuste peut être reduit en esclavage, et d'ailleurs ne pas prendre la foi ne rend pas automatiquement un côté injuste de manière de justifier l'esclavagisme, et puisque Espagne prend ça au sérieux, Espagne est le premier pouvoir de cesser le trafic des Noirs à travers l'Atlantique. Notons que la même chose ne vaut pas forcément pour Portugal ou les possessions portugais que pendant une époque Espagne administrait.
Entretemps, les Arabes prenaient eux-mêmes esclaves, faisaient eux-même le trafic, avaient eux-mêmes esclaves pour le travail. En prime, les esclaves reconnus d'avoir pris la religion Mahometane étaient libérés. On peut y voir une forme de pédagogie. Certains me trouveraient sans nécessité apologète des Mahometans, mais c'est plutôt que je m'oppose à leur concept de pédagogie tout court, non seulement dans le contexte ouvertement esclavagiste.
Jules Ferry de son côté croyait qu'il y a des races supérieures et inférieures, et que c'est le devoir des uns d'apporter la Civilisation aux autres.
C'est vrai que Sepúlveda aussi croyait avoir bien fait en apportant le tour de potérie, la roue, le fer, le blé, le vin aux Indiens. Mais, si je ne me trompe pas - je n'ai pas lu le débat dans le texte, mais le livre sur le débat - il ne trouve pas que ça en soi justifiât la conquête. Non, c'est autrement qu'il faut lire sa réponse là-dessus à Bartolomé de las Casas.
Car il y a deux reproches différentes que Bartolomé de las Casas fit aux Espagnols (tout en étant lui-même Espagnol: les intellectuels de l'époque n'avaient pas le devoir absolu de montrer un patriotisme en chaque affaire).
- Et la conquête était injuste car les Indiens avaient droit à leurs souverainetés collectives,
- et la suite de cette conquête était injuste car exploitive de manière unilatérale.
Et dans le réponse de Sepúlveda les deux reproches trouvent chaqu'un sa réponse.
- Et la conquête était juste car un état qui expose ses citoyens à idolâtrie avec sacrifice humain, qui est totalitaire (communiste comme la pharaonisme et à la fois exigeant en altruisme, en plus la société désignait avec qui on se mariait, en classes d'age assez étroites) et qui pratique sans honte la sodomie ne vaut pas sa souveraineté, d'où la justice d'une conquête visant à corriger ça.
- Et l'exploitation était récompensé par les apports comme fer, vin, blé, roue et tour de potterie. Et surtout le Christianisme qui apporte le salut et qui finit avec l'idolâtrie.*
On peut remarquer que ce n'est pas tout à fait clair et net comment ceci justifie la réduction de particuliers à un état pas loin d'esclavage sur les encomiendas, sans tenir compte du point de vue qu'avant ils ne savaient pas comment vivre. On peut même remarquer que Mahométans sont plus généreux en ceci que des convertis sont immédiatement libérés. Mais de l'autre côté, ils ont aussi été plus cruels envers des Chrétiens qui ont refusé la conversion. Et encore: on peut bien soupçonner que la méthode était due à une habitude que des croisés, tels que l'Ordre Teutonique, avaient emprunté aux Maures.
De toute manière, on ne peut pas prétendre que des Maures auraient été plus cléments avec les Aztèques.
Et les Français ont été plus cléments avec eux, malgré les siècles que des pirates ont fait subir aux Chrétiens blancs au nord comme aux Noirs animistes au sud.
Mais leur chef de l'époque avait pris une attitude comme si l'apport en technologie était plus important comme justification d'une conquête que la foi et la justice. Pour Sepúlveda, la foi et la loi naturelle viennent au premier plan.
Or, il y a encore un problème avec l'attitude de Jules Ferry: il ne pensait pas qu'aux grandes différences raciales (qui ne sont peut-être pas si grandes), il pensait aussi aux différences de génie entre les diverses "races" au sein d'un même peuple blanc et français: il croyait que les génies devaient apporter la civilisation du progrès technique aux administrateurs, et les administrateurs l'imposer à tous les autres. Énergie et discipline ... imposables à tous, même à ceux qui croient autrement bien vivre sans ça. L'abus qui saute immédiatement dans les yeux au plan de l'intérieur, c'est l'école obligatoire. Et obligatoirement publique et laïque. Après les colonisations et décolonisations, l'administration continue une colonisation du propre peuple pour des motifs que Sepulveda doit avoir trouvés de valeur sécondaire quoique non négligeable. Rendre l'école maternelle obligatoire comme le voudrait Hollande serait encore un pas dans cette direction néfaste. Qui idolise l'état de manière Aztèque ou Péruvienne, qui reclame un "altruisme" comme des gens qui s'immolent aux idoles sur l'ordre de l'état.
Hans-Georg Lundahl
Bibl. Georges Pompidou
28-IV-2012
*Voici les arguments selon l'article wiki, qui les donne autrement que ma mémoire du livre des éditions DMM:
Juan Ginés de Sepúlveda considère les cas de sacrifices humains, d'anthropophagie, d'inceste royal, pratiqués dans les sociétés précolombiennes et suit des arguments aristotéliciens et humanistes en proposant quatre « justes titres » qui justifient la conquête :
- pour leur propre bien, les Indiens doivent être mis sous tutelle par les Espagnols puisque lorsqu'ils se gouvernent eux-mêmes, ils violent les règles de la morale naturelle (thèse aristotélicienne de la servitude naturelle) [Notons que cette thèse de Sepúlveda n'est pas identique à la thèse aristotélique, comme il aurait été si les manques en culture matérielle chez les Indiens avaient justifié "la mise sous tutelle"];
- la nécessité d'empêcher, même par la force, le cannibalisme et d'autres conduites antinaturelles que les Indiens pratiquent.
- l'obligation de sauver les futures victimes des sacrifices humains ;
- l'ordre d'évangéliser que Christ a donné aux apôtres et le Pape aux Rois Catholiques (Pape qui jouit de l'autorité universelle).
Las Casas réplique en démontrant :
- la rationalité des indigènes au travers de leurs civilisations (l'architecture des Aztèques) [mais rationalité technique n'est pas un argument de garder souveraineté chez un état criminel contre la loi naturelle, non plus qu'elle ne l'est chez un colonisateur comme argument pour un droit de soumettre d'autres avec moins rationalité technique];
- qu'il ne trouve pas dans les coutumes des Indiens de plus grande cruauté que celle qui pouvait se trouver dans les civilisations du Vieux Monde (la civilisation romaine n'en a pas moins organisé les combats de gladiateurs) ou dans le passé de l'Espagne [Rome payenne a renoncé à son indépendance vis-à-vis la vérité chrétienne, pour ça même];
- l'évangélisation et le fait de sauver les victimes des sacrifices humains n'est pas tant un devoir des Espagnols qu'un droit des Indiens.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Controverse_de_Valladolid - un article qui se base sur l'historiographie officielle, les pièces de théâtre de mémoire auxquelles biensûr le livre de DMM que j'ai lu (des années le millénaire passé) était une réponse.